Chaque année, c’est le même marronnier : le niveau en français des enfants comme des adultes baisse dangereusement. Il suffit de voir les résultats des évaluations nationales ou de faire un tour sur nos réseaux sociaux pour constater les dégâts. Mais est-il vraiment approprié de corréler orthographe et intelligence, grammaire et style ? Car c’est un fait : tout le monde fait des fautes, qu’elles soient dues à l’inattention, à la fatigue, à l’ignorance d’un accord de conjugaison complexe, etc. Et pour peu qu’on ait conscience de ses limites et qu’on n’hésite pas à faire appel à un professionnel le cas échéant, on peut parfaitement s’en sortir sans être Bernard Pivot.
L’orthographe, cheval de bataille des « grammar nazis »
Les coquilles et erreurs de grammaire sont-elles si graves ? À en croire certains, qui se définissent eux-mêmes comme des « grammar nazis » (alors que ce terme est sujet à controverse…), c’est un véritable crime de lèse-majesté. Là où cela m’amuse, c’est que le plus souvent, ces gardiens du temple sont loin d’être des rois de l’orthographe. Et c’est particulièrement drôle quand l’un de ses ayatollahs souligne une faute d’orthographe dans un article, un commentaire… en commettant lui-même l’irréparable. La métaphore même de l’arroseur arrosé, qui ne manque jamais de me faire sourire. Bien fait à celui qui voulait humilier l’autre !
Car l’orthographe peut être une source de discrimination, alors que nous ne sommes pas égaux devant les bizarreries de la langue française. Si certains ont une mémoire photographique qui leur permet de réécrire sans faute un mot vu une fois il y a deux ans, d’autres sont dyslexiques/dysorthographiques, ou ont tout simplement une logique bien à eux. En CM1, j’avais une amie qui ne comprenait pourquoi elle ne pouvait pas écrire : « J’ai eu à faire à lui. » L’instit avait bien sûr corrigé en « j’ai eu affaire avec lui ». Impossible pour elle, pourtant bonne en orthographe, de comprendre pourquoi !
Par ailleurs, je rejoins la position de Muriel Gilbert, autrice, correctrice au Monde et chroniqueuse sur RTL, dans son délicieux ouvrage Au bonheur des fautes : « À la différence des fautes “officielles”, celles qui sont imprimées dans la presse, dans les livres, ou même sur les enseignes des commerces – tous supports qui, par simple respect pour ceux qui les lisent, devraient simplement être révisés par un professionnel –, […] m’attendrissent, m’amusent, me réjouissent […]. Vouloir que nul ne commette de fautes, ce serait comme interdire à tout un chacun de prendre des photos de vacances avec son téléphone portable sous prétexte que les pros font de meilleurs clichés. Oui – et alors ? Certaines erreurs […] frappent souvent par leur esprit, leur créativité. » Je la rejoins d’autant plus que j’ai été récemment déçue d’apprendre que la faute que je pensais avoir décelée sur la bouteille de « rhum à ranger » d’un proche n’en était finalement pas une :-).
L’orthographe, pas à un paradoxe près
Car comme le souligne également Muriel Gilbert, « l’orthographe souffre d’une espèce de paradoxe : on l’a qualifiée, comme par dépit amoureux, de “science des ânes”, alors que, à l’inverse, une orthographe par trop récalcitrante peut vous faire passer pour un baudet du Poitou. L’orthographe n’est pas davantage la science des ânes que les entorses à l’orthographe ne trahissent des neurones en compote. » N’oublions pas que de nombreux auteurs célèbres avaient ou ont un français plus que défaillant… et je connais des personnes à l’orthographe quasi parfaite qui ne savent pas écrire pour autant. Et ne le dites à personne, hein : le meilleur correcteur, c’est celui qui doute. Celui qui vérifie systématiquement ou presque quand vous lui posez une question. Celui qui passe trois fois le correcteur orthographique avant de relire encore plusieurs fois son texte, juste au cas où. Et parfois, oui, il va laisser une coquille. Il aura eu beau se relire quinze fois, il ne la verra plus. Nul n’est parfait :-).